Le fractionnement de revenus selon le budget fédéral 2018 : permis ou non ?

Mercredi 02 Mai 2018

Publication générale

fractionnement de revenus

Dans le cadre du budget fédéral 2018, le ministre des Finances Bill Morneau a annoncé les mesures retenues à l’égard du traitement fiscal des revenus fractionnés entre les membres d’une même famille.


On se souviendra qu’en juillet 2017, le ministre Morneau avait publié un document de travail dans lequel il exposait les mesures qu’il entendait prendre à l’égard de certaines situations qui entraînaient, selon lui, des « inéquités » fiscales entre contribuables. La volonté de restreindre, sinon d’abolir, les possibilités de fractionnement de revenus entre les membres d’une même famille, faisait partie de ces mesures.


Finalement après avoir mené des consultations, le ministre Morneau a allégé sa réforme, dont notamment certaines mesures initialement envisagées à l’égard du revenu fractionné, ou répartition du revenu, en comparaison avec ce qui, d’abord, avait été annoncé au mois de juillet 2017.

Mise en contexte

Depuis plusieurs années, les entrepreneurs et dirigeants de sociétés privées, souvent de petites et moyennes entreprises familiales ou encore des sociétés par actions incorporées par des professionnels, avaient mis en place une structure corporative qui leur permettait de répartir les revenus des profits réalisés par l’entreprise, entre les membres adultes, sauf exception, de leur famille.


Cette répartition de revenus, ou fractionnement de revenus, entre les membres adultes d’une même famille, permettait ainsi à la famille de conserver, après impôts, un revenu global net supérieur à celui qu’elle aurait conservé si tous les revenus avaient été attribués au membre de la famille exploitant ou dirigeant la société familiale. En effet, en appliquant les tables de taux d’imposition progressif en fonction des revenus d’un contribuable adulte, il était ainsi possible d’éviter que les revenus soient tous imposés au taux marginal d’imposition, probablement le plus élevé de la famille, entre les mains du dirigeant.


La façon de procéder était donc relativement simple et consistait à faire souscrire dans la société par actions, directement ou indirectement par le biais d’une société de gestion, les membres de la famille adultes, à des actions participant aux profits sans nécessairement, par ailleurs, procurer des droits de vote à ceux-ci. Lorsque des profits étaient à distribuer entre les actionnaires, les profits partagés sous forme de dividendes étaient alors déclarés aux différentes catégories d’actions détenues par les membres adultes de la famille ayant un taux d’imposition marginal moins élevé que celui du dirigeant, permettant ainsi à la famille de réaliser des économies d’impôt. Cette répartition était permise sans égard à l’implication réelle de l’actionnaire dans l’exploitation de l’entreprise ou son investissement en argent, autre que le prix payé qui est souvent très peu élevé, pour les actions.


Il est à noter que le fractionnement de revenus pouvait également se faire à l’intérieur d’une fiducie familiale détentrice d’actions participant aux profits dans l’entreprise familiale. Ainsi, la fiducie recevait un dividende qu’elle attribuait à certains des bénéficiaires adultes de la fiducie dans l’année de la réception du dividende par la fiducie. Ainsi le revenu de dividende était imposé directement entre les mains du bénéficiaire selon son propre taux marginal d’imposition plutôt que selon le taux marginal d’imposition du « dirigeant ».

Réforme retenue et fractionnement permis

Finalement, à la suite de consultations, le ministre Morneau n’a conservé que certaines mesures de la réforme fiscale majeure qu’il eût annoncé à l’été 2017, dont certaines mesures restreignant la répartition ou le fractionnement de revenus entre les membres d’une même famille.


Le ministre Morneau a donc, dans le cadre du budget fédéral 2018, précisé les conditions auxquelles une répartition de revenus serait permise sans impôt additionnel sur le revenu fractionné. Par conséquent, lorsqu’un fractionnement ou une répartition de revenus non permise par les lois fiscales serait effectué, un impôt sur le revenu fractionné (taux d’imposition marginal le plus élevé) serait alors imposé et les crédits d’impôts personnels, sauf quelques exceptions, ne pourraient être utilisés sur le revenu fractionné non conforme aux conditions.


À noter que les nouvelles règles sur le revenu fractionné ne compromettent pas, du moins pour l’instant, la possibilité de répartir le revenu de gain en capital et ainsi éventuellement multiplier, si par ailleurs les conditions d’application sont rencontrées, l’exonération cumulative du gain en capital entre des actionnaires ou bénéficiaires de fiducies, même mineurs.

Énoncé des nouvelles règles

À compter de l’année d’imposition 2018, les membres d’une même famille qui seront exclus de l’application des règles sur le fractionnement ou la répartition du revenu et par conséquent qui pourront, en principe, répartir du revenu entre eux, sans entraîner un impôt sur le revenu fractionné, sont les suivants :


1. Le conjoint du propriétaire de l’entreprise, à condition que le propriétaire ait apporté une contribution importante à l’entreprise et qu’il soit âgé de 65 ans ou plus. En reconnaissance des défis particuliers associés à la planification de la retraite et à la gestion du revenu de retraite, la nouvelle approche en matière de répartition du revenu s’harmonise mieux avec la règle actuelle sur le fractionnement de revenus de pension. Cette mesure prend en compte que l’entreprise peut remplir un rôle important de soutien à son propriétaire à la retraite.


2. Les adultes âgés de 18 ans ou plus qui ont apporté une contribution importante de main d’œuvre (généralement d’au moins 20 heures par semaine en moyenne) à l’entreprise pendant l’année, ou au cours de 5 années antérieures. Dans les cas des entreprises dont les activités sont saisonnières, comme certaines entreprises agricoles ou de pêche, l’exigence relative à la contribution en matière de main d’œuvre s’appliquera à la partie de l’année où l’entreprise est en activité.


3. Les adultes âgés de 25 ans ou plus qui détiennent au moins 10%, en votes et en valeur, d’une société qui tire moins de 90% de son revenu de la prestation de services et qui n’est pas une société professionnelle.


4. Les particuliers qui tirent des gains en capital sur la disposition d’actions admissibles de petites entreprises ou de biens agricoles ou de pêche admissible, s’ils ne sont pas assujettis au taux marginal d’imposition le plus élevé sur ces gains selon les règles existantes.


Le ministre des Finances écrit ceci dans son document d’information sur les mesures simplifiées relatives à la répartition du revenu :


« Les particuliers âgés de 25 ans ou plus qui ne satisfont à aucune des conditions d’exclusion décrites ci-dessus seraient assujettis aux critères du caractère raisonnable afin de déterminer la part du revenu, le cas échéant, à laquelle s’appliquerait le taux marginal d’imposition le plus élevé. Dans certains cas, les adultes âgés de 18 à 24 ans, qui ont contribué à une entreprise familiale par l’apport de leur propre capital, pourront se prévaloir du critère du caractère raisonnable relativement au revenu connexe.


L’Agence du revenu du Canada a d’ailleurs publié des lignes directrices qui donnent davantage de précisions et plusieurs exemples sur l’application de ces mesures. »


Quant à l’appréciation du caractère raisonnable du rendement à partir duquel on évaluera si la répartition du revenu n’est pas assujetti à l’impôt sur le revenu fractionné, le ministère a établi des critères qui permettent de déterminer si les personnes visées ont apporté une contribution à l’entreprise au moyen de l’une ou l’autre ou d’une combinaison des contributions suivantes :


1. Une contribution de main-d’œuvre ;


2. Une contribution en biens ;


3. L’historique des paiements (total des montants payés) ;


4. Les risques assumés ;


5. Tout autre facteur pertinent.


De plus, selon les directives publiées par l’Agence du revenu du Canada, afin de déterminer si un montant reçu par un particulier est supérieur à ce qui constituerait un montant raisonnable eu égard à sa contribution, selon les moyens de contribution mentionnés précédemment, elle peut également considérer les facteurs plus précis rattachés à chacune des contributions. Par exemple, si la contribution a été effectuée en main d’œuvre, l’Agence du revenu du Canada pourra prendre en considération la nature des tâches effectuées, un salaire compétitif relativement au travail effectué en comparaison avec des entreprises similaires œuvrant dans le même domaine, les études, la formation et l’expérience, les heures nécessaires afin d’accomplir le travail, etc.

Conclusion

En conclusion, il est important de se rappeler que le revenu fractionné ou la répartition du revenu entre les adultes d’une même famille provenant habituellement d’une entreprise familiale demeure permis, mais à des conditions beaucoup plus restrictives. Il sera donc important de valider à chaque situation particulière, tel qu’au moment de la déclaration d’un dividende en faveur d’un membre adulte de la famille, si un impôt sur le revenu fractionné est susceptible de s’appliquer. Ainsi, dépendant de l’âge de l’adulte concerné, de la nature de son lien avec le « dirigeant » de la société, de l’âge du « dirigeant » et ses contributions à la société ou encore de la raisonnabilité de l’avantage que l’on s’apprête à lui verser, la répartition du revenu sera recommandable ou non recommandable, eu égard à l’application possible d’un impôt sur le revenu fractionné, lequel impôt est calculé selon le plus haut taux marginal d’imposition et prive du bénéfice des crédits d’impôt personnel, sauf à l’égard de certains crédits particuliers.


Dans tous les cas de répartition du revenu, les contribuables devront se préparer à étayer leur position dans l’éventualité de toute vérification par les autorités fiscales.


Me Lucie Boiteau, avocate

Alepin Gauthier Avocats Inc.


Cette chronique contient de l'information juridique d'ordre général et ne devrait pas remplacer un conseil juridique auprès d'un avocat qui tiendra compte des particularités de votre situation.

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