La levée du voile fiduciaire existe-t-elle au Québec ?

Dimanche 23 Septembre 2018

Publication générale

voile fiduciaire

Qu'est-ce qu'une fiducie?

La fiducie est un mécanisme par lequel le constituant transfère des biens de son patrimoine à un patrimoine distinct et qu’un fiduciaire s’oblige à détenir et à administrer. Elle est créée, le plus souvent, par des gens d’affaires ayant des structures corporatives et des revenus et actifs importants. Une fiducie peut être constituée dans un but de protection d’actifs, d’allègement fiscal ou pour effectuer un gel successoral.


Jusqu’au 1er mars 2018, la jurisprudence relative aux fiducies, assez récente en droit de la famille dans notre droit québécois, a établi certains critères afin de guider les avocats et les tribunaux quant à la fiabilité de la protection d’actifs à caractère familial par l’intermédiaire d’une fiducie.


Par exemple, le transfert, dans une fiducie, d’un bien, qui autrement aurait fait partie du patrimoine familial ou de la société d’acquêts et dont la valeur devrait être partagée entre les époux advenant une séparation, un divorce ou un décès, sera-t-il accepté par la cour comme étant protégé par le patrimoine distinct de la fiducie ou sera-t-il plutôt considéré comme étant partageable?


Il en est de même pour l’établissement des revenus afin de fixer une pension alimentaire que ce soit au bénéfice des enfants ou au bénéfice de l’ex-époux.


Par exemple, les sommes d’argent provenant d’une fiducie et utilisées par l’un des parents pour payer des dépenses personnelles et familiales devraient-elles être considérées comme protégées par le patrimoine distinct de la fiducie ou plutôt ajoutées aux revenus du parent pour fixer la pension alimentaire au bénéfice de l’enfant?


En tout temps, les tribunaux ont répété qu’une personne ne peut se servir de la fiducie pour contourner une loi d’ordre public. Ils ont également établi les critères suivants afin de décider si les objectifs de la fiducie sont légaux ou visent plutôt à contourner une loi d’ordre public. À titre d’exemple: les raisons de la constitution de la fiducie, la date et les circonstances de sa constitution, le pouvoir exercé par le parent sur la fiducie, la transparence de la situation financière, le train de vie, l’accord de l’époux, la façon dont la fiducie est gérée, etc. Tous les éléments doivent être analysés.


Dans les cas où il y a possibilité que la fiducie ait été utilisée par un époux afin de soustraire des actifs d’un partage éventuel, les tribunaux, utilisent la notion de « la levée du voile fiduciaire » afin d’étudier les détails de la fiducie pour que soit dévoilée la situation financière réelle de l’époux ou pour savoir si les biens détenus en fiducie seront partageables ou non.


Décision

Or, le 1er mars dernier, la Cour d’appel du Québec s’est prononcé dans le jugement Karam c. Succession Yared à l’effet que cette notion de voile fiduciaire n’existe pas en droit civil québécois.


La Cour d’appel réitère que les critères établis par la jurisprudence antérieure doivent être étudiés et appliqués aux faits de chaque cas. Elle ajoute que le droit de la famille québécois prévoit déjà tous les mécanismes nécessaires afin de protéger les époux. La Cour fait particulièrement allusion aux dispositions relatives au partage du patrimoine familial qui prévoient le versement d’une compensation financière à l’époux lésé par l’aliénation de biens faisant partie du patrimoine familial par l’autre époux durant l’année précédant la séparation.


Elle mentionne également que le partage inégal du patrimoine familial en raison, entre autres, de la courte durée du mariage, la mauvaise foi d’un époux ou la dilapidation de certains biens par l’un des époux est un autre recours possible s’offrant à l’époux lésé par le transfert d’un bien dans une fiducie.


Il faut dire que les circonstances particulières du cas ont mené à cette décision spécifique de la Cour d’appel. En effet, dans cette affaire, les époux avaient tous deux consenti, en toute connaissance de cause, à la constitution d’une fiducie afin de protéger leurs enfants en cas de décès de madame Yared, atteinte d’un cancer du cerveau. Les bénéficiaires de la fiducie étaient l’épouse et les enfants.


Madame Yared avait consenti alors qu’elle était lucide à la constitution de cette fiducie suite à la proposition de son propre frère. Le modèle de la fiducie avait été calqué sur le modèle de fiducie et par les mêmes professionnels que ce dernier.


Suite à la constitution de cette fiducie souhaitée par les deux époux, la résidence familiale avait été acquise par la fiducie et n’avait jamais appartenu à l’un ou l’autre époux auparavant. La cour d’appel n’a donc conclu à aucune intention de la part de monsieur de soustraire la résidence familiale du patrimoine familial.


Madame était décédée par la suite et la succession tentait d’établir que l’époux avait tenté de soustraire la résidence du patrimoine familial et que la Cour devait maintenant la réintégrée dans le patrimoine familial afin que sa valeur soit partagée ou, à tout le moins que ses droits d’usage le soient.


La succession de madame Yared a eu gain de cause en première instance et l’époux a eu gain de cause devant la Cour d’appel.


Suite à une demande à cet effet par la succession de madame Yared, la Cour Suprême du Canada aura à se prononcer sous peu à savoir si elle accepte d’entendre l’appel de la décision de la Cour d’appel. La permission de faire appel à la Cour Suprême n’a pas encore été entendue par la Cour. Nous sommes en conséquence en attente de la décision du plus haut Tribunal du pays à cet égard.


Me Marie-Janou Macerola, avocate

Alepin Gauthier Avocats Inc.


Cette chronique contient de l'information juridique d'ordre général et ne devrait pas remplacer un conseil juridique auprès d'un avocat qui tiendra compte des particularités de votre situation.

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